http://www.ina.fr/video/CAF97001684
Voici une petite perle que Camille et moi avions repéré toutes les deux sans se concerter mais qu’elle m’a gentiment cédé, j’espère donc que l’article fera honneur à son sacrifice!
Le document que je vais vous présenter et une vidéo tirée du site de l’INA, sur lequel je reviendrai dans un second temps.
De quoi s’agit-il ?
D’une vidéo relativement courte (3 :05 mn) mais très instructive puisqu’elle rend compte d’une exposition sur Picasso, qui s’est déroulée en 1972 au Musée Dynamique de Dakar. A ce titre elle est concrètement la première exposition dédiée à l’artiste sur le sol africain, ce qui déconstruit totalement ce qui avait été dit dans un précédent article à propos de l’exposition de 2006 à Johannesburg. Mais rappelons que dans cette dernière, il y avait une réelle prise de position dans la mise en avant de l’influence de l’art africain dans l’œuvre de Picasso, et que l’on présentait pour la première fois [sous cet angle] sur le continent noir.
L’exposition de Dakar se veut moins « polémique » s’il on veut, même si le désir de mettre en avant les liens étroits entre l’Afrique et Picasso est bien présent. Organisée à l’initiative de Léopold Sédar Senghor, alors président de la République du Sénégal, et qui fut un ami de l’artiste espagnol ; l’exposition se veut une sorte d’hommage avant l’heure (Rappel : Picasso disparaîtra l’année suivante) à l’Homme qui a créé par son art une sorte de passerelle entre Afrique et Occident.
Ce document audiovisuel est précieux pour plusieurs raisons :
Son format, une vidéo, donc un témoignage audio-visuel, direct et spontané. Nous arguerons que l’on peut toujours mentir à la caméra, mais il y a ce côté plus « parlant» presque plus « vrai » que possède la vidéo en rapport entre autre.
Il nous livre le point de vue de l’autre côté, le point de vue africain que finalement nous n’entendons que trop peu et qui manque également à notre analyse.
Mais surtout on peut y entendre le témoignage de Léopold Senghor, donc d’un homme qui a côtoyé l’artiste, avec qui il a conversé et dont il peut rapporter textuellement les paroles. Encore une fois on pourra toujours avancer le fait qu’il est aisé de mentir ou de déformer des propos, néanmoins les déclarations de Senghor apportent une dose de véracité et des preuves qui nous manquaient peut-être jusqu’alors.
Enfin j’ajouterais que l’on a également, même de manière succincte, l’avis d’amateurs non dénué d’intérêt.
Dans cette vidéo donc, le président Sénégalais rapporte le moment où Picasso lui a parlé de son inspiration de l’art nègre [0 :35 à 1 :20] ; et il est intéressant de voir que cela se passe en 1943-44, donc quelques décennies après la visite au Trocadéro et « Les Demoiselles d’Avignon », et prouve que cette inspiration africaine ne s’est pas limitée à une période de la vie de Picasso mais l’a réellement marqué durant le reste de sa carrière. C’est la vision d’un artiste mais surtout d’un Homme ouvert, qui a milité aux côtés de figures comme Léopold Senghor ou Aimé Césaire.
La seconde moitié de la vidéo recueille les impressions de quelques africains devant les œuvres de l’artiste espagnol. Leurs avis sont positifs et ils font preuve d’un enthousiasme certain, mais leurs paroles interpellent : entre ce jeune homme qui se dit « inspiré » par les toiles, ou cet autre qui parle des œuvres comme « la réalité même ». On a d’une part un amusant retour des choses, Picasso devenant « l’inspirateur » de l’Afrique, qui l’avait elle-même inspiré, d’autre part une vision de son oeuvre diamétralement opposée à celle (largement répandue) qui n’y voit que la déformation du réel sans souci de réalisme aucun.
C’est donc un témoignage vivant, humain, que nous livre cette vidéo. Une vidéo rare, étant donné qu’elle remonte à 1972, mais dont le visionnage nous est aujourd’hui permis grâce au site de l’Institut National Audiovisuel (INA).
Qu’est que l’INA ?
L’INA c’est une institution culturelle, fondée le 6 avril 1975, et qui se donne pour mission de sauvegarder, archiver et diffuser le patrimoine audiovisuel à tous les publics, amateurs ou professionnels. C’est également un centre de formation et de recherche.
Depuis 2006, le site internet de l’INA met à disposition gratuitement et par à un long travail de numérisation, l’accès en libre service de milliers documents audiovisuels, et permet surtout de sauver ces documents de la destruction. Le rôle de l’INA est donc majeur dans la sauvegarde et la promotion d’une grande partie du patrimoine culturel.
Le site en lui-même regroupe une quantité astronomique de fonds audiovisuels en tous genres : fonds national et régional de la télévision, radio, cinéma, publicité, également des photos. Il est possible de réaliser une recherche simple, par catégories de fonds, par thèmes, personnalités ou encore époques (du début du XXème siècle à l’après 2000). En outre le site possède une boutique de DVD/VOD (on peut regarder, télécharger ou graver sur CD différents films, non gratuitement bien entendu).
Voilà ce qu’il en est pour les particuliers voulant consulter les fonds. Mais l’INA possède également cinq autres sites destinés à différents profils, que l’on soit étudiant, chercheur ou particulier : L’INA Médiapro (pour les professionnels), l’INAthèque (pour les chercheurs, enseignants, étudiants, donnant accès à des postes de consultations), l’INA Expert (pour la formation supérieure et la recherche), l’INA Global (qui est une revue en ligne), et l’INA GRM (pour la création et l’innovation).
L’Institut National Audiovisuel poursuit actuellement ses missions de sauvetage, sauvegarde et promotion de notre riche patrimoine audiovisuel, et à ce titre on ne peut lui faire meilleur honneur que d’user et d’abuser de ce qui y est mis à notre service.
Au risque de me répéter au fil des articles, je vous encourage encore une fois à consulter ce site, véritable mine d’or de la culture.
N.B: On entend dans la vidéo un extrait d’un poème de Léopold Sédar Senghor dédié à Picasso, je ne résiste pas à l’envie de vous le faire partager.
Masque nègre
A Pablo Picasso
Elle dort et repose sur la candeur du sable.
Koumba Tam dort. Une palme verte voile la fièvre des cheveux, cuivre le front courbe.
Les paupières closes, coupe double et sources scellées.
Ce fin croissant, cette lèvre plus noire et lourde à peine – ou’ le sourire de la femme complice?
Les patènes des joues, le dessin du menton chantent l’accord muet.
Visage de masque fermé à l’éphémère, sans yeux sans matière.
Tête de bronze parfaite et sa patine de temps.
Que ne souillent fards ni rougeur ni rides, ni traces de larmes ni de baisers
O visage tel que Dieu t’a créé avant la mémoire même des âges.
Visage de l’aube du monde, ne t’ouvre pas comme un col tendre pour émouvoir ma chair.
Je t’adore, ô Beauté, de mon oeil monocorde
Coralie